« L’homme est un loup pour l’homme ». Cette croyance implacable est comme une sentence qui rythme l’histoire du monde.
Pourtant des voix s’élèvent contre cette vision de l’homme ; des voix qui racontent une autre histoire, celle de l’altruisme et de la compassion, comme une voie royale vers des changements radicaux au service de l’homme, de son développement et des défis planétaires.
Dans leur documentaire « Vers un monde altruiste » Sylvie Gilman et Thierry De Lestrade nous présentent des psychologues, des chercheurs, des expériences et des études sur l’altruisme et la coopération.
Leur originalité et leur pertinence est d’aborder l’altruisme sous un angle scientifique. Dans ce documentaire télé à la fois passionnant et instructif on découvre que la bienveillance et la coopération appartiennent fondamentalement à la nature humaine.
L’altruisme véritable existe-t-il ?
L’altruisme tel qu’il nous est présenté dans le documentaire signifie « agir pour le bien des autres », agir dans leur intérêt et non dans le notre. Dans l’idée de l’altruisme, le bien être d’autrui représente un but en soi.
Et le préalable à tout acte altruiste c’est l’empathie, notre aptitude innée à ressentir ce qu’un autre ressent : pour comprendre l’autre nous avons besoin de ressentir ses émotions.
L’empathie telle qu’elle est étudiée par les neurosciences c’est notre résonance émotionnelle et elle est observée dans les études des zones du cerveau : souffrir ou voir souffrir c’est la même chose dans le cerveau, ce sont les mêmes zones qui sont activées. Notre cerveau est câblé pour résonner avec autrui et le langage de l’empathie est un langage universel. Identifier les émotions des autres, serait le premier pas vers l’altruisme, premier pas nécessaire pour comprendre l’autre, ses besoins et pouvoir y répondre.
Des expériences sur l’altruisme dès l’enfance
Très tôt l’enfant fait preuve d’altruisme, c’est l’enseignement tiré d’expériences faites sur le tout petits :
- on voit dans le documentaire qu’un enfant très jeune comprend les problèmes d’autrui et veut aider alors même qu’il ne reçoit aucun bénéfice de son action
- une autre recherche montre que l’enfant perd le plaisir naturel d’aider quand il est récompensé sans raison
… mais si nous naissons avec cette propension à l’entraide et au comportement collaboratif il nous faut ensuite cultiver ces penchants à travers une éducation appropriée
- autre découverte essentielle : la capacité de juger les autres est déjà présente à l’âge de 3 mois. Autrement dit les préférences des bébés sont morales et leur compréhension est liée aux notions d’équité et de justice
… même si elle est rudimentaire au départ, nous naissons tous avec cette capacité à distinguer le bien du mal.
« Vers un monde altruiste » pose une question essentielle : si les bébés naissent avec un sens du bien et du mal alors…pourquoi devenons-nous de « mauvaises personnes » ?
Parce que la volonté de distinguer le monde entre « soi » et « les autres », entre les « gens comme nous » et « les gens comme les autres » apparait très tôt dans le développement de l’enfant et c’est quelque chose qui dure toute la vie, et que nous surmontons avec difficulté.
Ce clivage entre « ceux dont nous nous soucions » et « les autres » est un trait fondamental de la nature humaine. On observe dès l’enfance cette division du monde, avec une tendance à créer des frontières entre « eux « et « nous », à préférer les uns et à exclure les autres.
La coopération un moteur de l’évolution
Le documentaire s’intéresse aussi à l’évolution des espèces animales et humaines et montrent que la coopération est largement répandue dans le monde vivant avec des comportements altruistes qui se sont forgés tout au long de l’évolution.
L’hypothèse est que les moteurs de notre évolution ne sont pas seulement la sélection naturelle et la mutation mais aussi la coopération : nous sommes 8 milliards dans le monde car nous sommes des coopérateurs…
Comment cultiver l’altruisme ?
Un des défis actuels serait donc : comment élargir notre cercle moral ? Comment cultiver la bienveillance pour les autres ?
Le documentaire « Vers un monde altruiste » illustre ce défi à travers le portrait de Matthieu Ricard dont le cerveau est un des plus étudiés au monde.
Matthieu Ricard place l’altruisme et la bienveillance au coeur de son action et met en avant ses valeurs en s’engageant dans un travail de recueil d’informations scientifiques.
Pour lui, la transformation individuelle est possible et avec elle, la transformation de toute la société (car le changement individuel favorise l’évolution des cultures au cours des générations et ce notamment à travers l’éducation et la modélisation).
Les neurosciences nous montrent que nous avons le pouvoir de nous transformer et parmi ces découvertes immédiatement applicables, le documentaire met l’accent sur celle-ci : une activité purement mentale peut générer des changements dans le cerveau.
Une pratique sur 2 à 3 semaines de 30 minutes par jour est suffisante pour modifier le cerveau.
Cela est possible car le cerveau est un organe plastique qui fabrique chaque jours des milliers de neurones en fonction de l’expérience que nous vivons.
Par exemple 1 heure de télé le modifie ou 1 heure de jeu vidéo change le cerveau dans sa structure.
Toute forme d’entrainement mental provoque des modifications dans le cerveau au niveau fonctionnel et structurel, on peut donc favoriser un entrainement de l’esprit qui vise à cultiver des émotions positives.
« Changez votre cerveau, changez le monde » est comme un slogan pour tous les chercheurs convaincus qui prennent la parole dans le documentaire : c’est à chacun de développer des qualités personnelles comme la générosité ou la bienveillance, à chacun de faire un entrainement volontaire pour cultiver des qualités fondamentales comme le courage ou la détermination.
Coopération et méditation pour s’entrainer à l’altruisme
Cet entrainement passe entre autre par une éducation à la coopération et une éducation à la méditation …ce sont des moyens simples pour cultiver l’altruisme.
Pour illustrer cette idée le documentaire met en avant les résultats d’une expérience faite à l’école sur 12 semaines qui montre comment les conflits entre les élèves diminuent, comment les comportements généreux augmentent, comment le cercle relationnel de chaque élève s’élargit : les enfants apprennent à regarder au-delà d’eux même, ils apprennent à rester calme, à exprimer leurs besoins et à demander de l’aide.
Matthieu Ricard lui, promeut un certain type de méditation qui pour lui est un véritable entrainement à l’altruisme : la méditation de la compassion. La compassion est la prise de conscience de la souffrance de l’autre, couplée au désir de la soulager et de faire quelque chose pour son bien. La compassion est associée à un sentiment chaleureux, à un élan vers l’autre.
D’après les chercheurs qui s’expriment dans le documentaire, la compassion n’exige pas que l’on ressente la souffrance de l’autre comme cela serait le cas pour l’empathie (c’est ainsi que ces chercheurs conçoivent l’empathie dans le documentaire)
Ce type de méditation permet de se connecter à la souffrance de l’autre sans activer dans le cerveau la zone associée à la souffrance et la méditation de la compassion peut devenir un véritable programme d’entrainement de l’esprit pour réduire le stress, affronter la peur, s’ouvrir aux autres et améliorer ses compétences sociales.
Le documentaire se termine sur une question de fond incontournable : l’altruisme est il compatible avec notre système économique et social ?
Car la terrible maladie de notre société est cette tendance actuelle au « laissez moi faire ce que je veux ».
« Nous sommes riches et nous laissons les gens souffrir », croyance contre laquelle Matthieu Ricard s’oppose en faisant une promesse pour notre société : l’entrainement mental de chacun peut nous permettre de changer nos croyances et de créer un nouveau système de motivations.
La méditation de la compassion est un moyen efficace de prendre conscience de qui on est, de ce que on fait et comment on peut agir dans le monde. Sa promotion auprès des leaders de la société économique et sociale peut tous nous entrainer dans le cercle vertueux de l’altruisme
L’altruisme en lien avec l’approche centrée sur la personne ?
Aujourd’hui la compassion et l’altruisme sont des idées qui ont de l’impact grâce au charisme et à la foi d’un leader comme Matthieu Ricard qui s’appuie sur les neurosciences pour promouvoir sa vision et son projet pour l’homme.
Je crois qu’avec l’approche centrée sur la personne, Carl Rogers nous invitait déjà à créer cet espace positif en nous à travers l’importance du regard positif inconditionnel qu’il a présenté comme un pilier des relations humaines. Et dans sa théorie, cette acceptation inconditionnelle s’exprime à travers la compréhension empathique.
Carl Rogers décrit l’empathie ainsi :
“…percevoir le monde subjectif d’autrui comme si on était cette personne, sans toute fois jamais perdre de vue qu’il s’agit d’une situation analogue, “comme si”. La capacité empathique implique donc que par exemple on éprouve la peine ou le plaisir d’autrui comme il l’éprouve, et qu’on en perçoive la cause comme il la perçoit sans jamais oublier qu’il s’agit des expériences et des perceptions de l’autre. Si cette dernière condition est absente, il ne s’agit plus d’empathie mais d’identification.”
Pour lui, la compréhension empathique est une qualité dans la relation qui est indissociable du regard positif inconditionnel et de la congruence de chacun et c’est sans doute ce qui protège de l’identification à la souffrance de l’autre.
En tant que praticien de l’approche centrée sur la personne dans mes activités de psychothérapie, formation ou management, je me sens porté par ce sentiment chaleureux décrit par Matthieu Ricard et les chercheurs du documentaire « Vers un monde altruiste ». C’est un élan vers ceux qui viennent me rencontrer et qui ont besoin d’aide.
Je ne l’appellerai pas compassion, altruisme, ni même empathie… il me semble que le terme le plus précis est bien “regard positif inconditionnel”, un regard que je souhaite porter le temps de nos entretiens et qui s’exprime à travers la compréhension empathique que je m’efforce de manifester au client, tout en restant bien au contact de ce que je pense et de ce que je ressens moi-même dans mon expérience.
Références
– retrouvez le documentaire “Vers un monde altruiste ?” de Didier de Lestrade et Sylvie Gilman en replay ou sur la boutique d’Arte
– et pour comprendre les concepts clés des théories de Carl Rogers, je recommande entre autre son livre Psychothérapie et Relations Humaines théorie de la thérapie centrée sur la personne.